La période traversée exige de faire attention où l’on met les pieds.
Elle est finalement riche d’enseignements.
Le président de la République nous a annoncé lors de sa première intervention que rien ne serait plus comme avant et qu’il allait falloir réfléchir à la manière dont nous vivons. Et d’évoquer un « nouveau projet national … au service du bien commun ». On ne peut qu’adhérer.
La presse toutefois s’est aussitôt fait l’écho des difficultés qu’il y aura à changer radicalement de fonctionnement. Les dogmes de la libéralisation et la « start-up nation » seront-ils abandonnés, ce coronavirus se chargeant de rappeler, à qui veut bien l’entendre, combien la souveraineté et l’indépendance nationale sont des vertus et non des contraintes ? N’allons-nous pas plutôt rebondir face à l’urgence et relancer cette machine, un peu infernale quand même, de la libre circulation des hommes et des biens … et de leurs virus, seule recette connue et qui marche ?
L’affaire est incontestablement complexe. Et bien malin celui qui peut dire aujourd’hui de quoi demain sera fait. Et pour le notariat en particulier.
L’orientation passée était claire. Fidèles complices de Bruxelles, nos dirigeants avaient très largement entamé le processus de dérégulation du droit en général, et de la fonction d’officier public en particulier. Depuis l’acte contresigné par avocat, jusqu’à la tentative de libéralisation totale du tarif des officiers publics, en passant par les velléités de liberté totale d’installation, le but poursuivi était clair. Concurrence, concurrence, …. seule solution et seul objectif.
Cette pandémie va-t-elle faire redescendre sur terre tous ces esprits brillants (ou considérés comme tels) ?
On a vu ce que ce système nous a coûté ces mois derniers.
La liberté de circulation nous a gratifié de la propagation totalement libéralisée du Covid, ce virus dont il était évident en Janvier qu’il ne pouvait atteindre la France et qu’il eut été inutile de restreindre les accès au territoire et de fermer les frontières … les mêmes que l’on a fermées deux mois après. La liberté de circulation s’est transformée en confinement total d’une bonne partie des habitants de la planète et, du maintien revendiqué de l’ouverture des frontières nationales, on en est arrivé à la création de frontières entre les régions et les départements.
La concurrence, quant à elle, après avoir justifié la disparition des stocks de masques et autres médicaments type curare, nous a gratifiés de l’obligation de se procurer les outils de protection à l’extérieur, après la fermeture des usines de fabrication françaises cédées depuis quelques années à des fonds étrangers. Il est vrai qu’il n’y en avait pas besoin de ces fameux masques et que certains ne savaient même pas comment les mettre.
La potion est un peu amère, convenons-en, mais si au moins, telle la purge désagréable mais bienfaisant infligée à nos-arrières grands-pères, elle soignait le mal …
Le mal qui réside dans une constatation simple et d’évidence : la principale caractéristique de ce système n’est-elle pas tout simplement sa fragilité ? Comment peut-on admettre que notre économie soit à ce point fragile qu’une interruption temporaire de l’activité mette en péril autant d’entreprises ? En d’autres termes, est-il normal qu’une entreprise n’ait pas en trésorerie de quoi faire face à ce genre d’accident ?
Les médias mettaient en avant le sort des compagnies aériennes. Des compagnies qui brassent des milliards et qui n’ont pas de trésorerie suffisante pour assurer le paiement des leurs charges avec un ou deux mois d’avance ? Et, pis que ça, qui aujourd’hui, après avoir comme tout un chacun profité des largesses de l’état par le biais du chômage partiel, nécessite, pour éviter le dépôt de bilan, que la collectivité mette encore la main à la poche. Avait-on raison de se réjouir de la baisse du prix des billets d’avions ? On risque de repayer largement ces « lowcosts » dans les mois qui viennent.
Et nous pourrions parler des chaînes de magasins dont l’existence se trouve désormais directement menacée. Ou encore de « Renault ».
Il est permis de se demander si les raisons de cette fragilité ne se trouvent pas dans cette chasse à la marge. Ce sport favori des tenants du libéralisme dérégulé, de l’autorité de la concurrence et autres pontes, dont les théories tendent toutes, sous le fallacieux prétexte de la protection du pouvoir d’achat du citoyen, à la diminution des profits des entreprises.
Prises en étau entre la baisse des prix qu’impose la concurrence, d’une part, et l’inéluctable augmentation des charges consécutives à la prise en charge par l’Etat du coût des dégâts entraînés par les disparitions d’entreprises et indemnisation au chômage, d’autre part, sans parler du coût des maladies professionnelles, de la formation en vue de la reconversion et autres, ces entreprises ne peuvent à l’évidence assumer des ralentissements de leur activité et, encore moins bien sûr, des coups d’arrêts brutaux comme celui que nous vivons.
Et dans cette chasse à la marge, le notariat, qui a vécu ce coup de Trafalgar sur ses réserves antérieures, fait désormais, et depuis quelques années, partie des cibles favorites. Rappelez-vous le rapport de l’inspection des finances sur les professions réglementées. Et plus proche de nous, la réforme et l’actualisation du tarif. Avec la rédaction, ô combien savoureuse et limpide, de l’article R. 444-7. On ne peut résister au plaisir d’en rappeler sommairement la fluidité :
« -I. La rémunération raisonnable est déterminée globalement pour chaque profession en appliquant au chiffre d’affaires régulé l’objectif de taux de résultat moyen de cette profession. Cet objectif est déterminé à partir d’un taux de référence égal à 20 %.
« II. -L’objectif de taux de résultat moyen est égal au taux de référence mentionné au I affecté d’un coefficient correcteur multiplicateur, compris entre 1 et 1,6, afin de prendre en compte :
« 1° L’écart entre le taux de résultat régulé de la profession, constaté au titre de la dernière année disponible, et le taux de référence de 20 % ;
« 2° Le résultat moyen régulé des professionnels appartenant aux trois premiers déciles de la profession ;
« 3° Le cas échéant, les caractéristiques des prestations réalisées par la profession et l’évolution constatée de la qualité du service rendu ;
« 4° Le cas échéant, l’évolution constatée au cours des trois dernières années disponibles et l’évolution prévisible du chiffre d’affaires et du résultat moyens par professionnel.
« III.-Les tarifs réglementés et l’objectif de taux de résultat moyen sont fixés de manière à ce que le chiffre d’affaires régulé de la profession ne puisse varier de plus de 5 % par rapport à la période de référence précédente.
« Les dispositions du précédent alinéa ne font pas obstacle à ce que l’émolument perçu en contrepartie d’une prestation donnée évolue, en valeur absolue, de plus de 5 % par rapport à la période de référence précédente.
« IV.-L’objectif de taux de résultat moyen de chaque profession est fixé par l’arrêté prévu à l’article L. 444-3.»
Je vous rassure, le dictionnaire « Technocrate – Français / Français – Technocrate » figure à l’article 2 du décret de Février 2020 auquel je vous invite à vous reporter.
Ce qui, en clair (si cela est possible), veut dire que la marge de nos offices fait l’objet d’une attention toute particulière de la part des pouvoirs publics.
Et ce qui ne manque pas d’interroger. Car n’oublions pas qu’à la suite de l’application de ces dispositions prévues par la loi dite « Macron », notre tarif a fait l’objet de deux baisses consécutives. Le texte, aussi obscur soit-il mais n’a, visiblement, pas d’autre objet.
Quand on voit comment la profession a réagi à cette pandémie, quand on voit les moyens mis sur la table par le Conseil Supérieur pour nous permettre de passer au moins mal cette période, c’est-à-dire pour nous permettre d’assurer tout simplement la continuité du service public qui est l’essence même de notre fonction, comment ne pas avoir un regard sévère sur ce dogme de la chasse à la marge et la pseudo-rente ? Veut-on un notariat qui, à l’instar des activités concurrentielles, mettra la clé sous la porte à la prochaine pandémie ? Veut-on lui substituer une profession ou une autre qui, outre le fait de ne pas assurer la sécurité que nous prodiguons aux affaires, sera soumise aux aléas de la conjoncture ?
Disons-le clairement, l’orientation prise par la loi « Macron » met en péril le service public de l’authenticité. Point barre. Et l’expérience que nous visons rend absolument inexcusable l’obstination à poursuivre dans cette voie de la fragilisation des officiers publics. Les pouvoirs publics ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas. La crise traversée démontre que les baisses de tarif, l’affaiblissement organisé des résultats des Etudes, conjugués aux créations dogmatiques d’offices (rappelez-vous le nombre de dossiers de création restés « en rade »), n’auront pour autre résultat que la baisse des marges et un affaiblissement généralisé de la profession. Lorsqu’ils auront pleinement produit leurs effets, la prochaine pandémie venue, il est clair que la profession ne pourra faire face comme elle l’a fait ces mois derniers. Et, une fois encore, ce sont les usagers en feront les frais. Le « nouveau projet national … au service du bien commun » est-ce cela ?
Alors, attention à la marge. La chute pourrait être douloureuse. Et pas seulement pour les notaires.
Régis de Lafforest, président honoraire du SNN.