Observations sur le tarif et la récente réforme.

Le tarif des notaires ! encore et toujours objet de la tendre sollicitude de nos gouvernants.

Le résumé des épisodes précédents oblige à revenir sur des souvenirs savoureux.

Les velléités de refonte totale du tarif portées par des réformateurs peu au fait des raisons de son existence et de sa complexité, qui ont abouti à une baisse « homothétique » en forme d’aveu d’échec.

Les tentatives de mise en place d’une procédure d’évolution du tarif avec la fameuse équation aussi compliquée qu’insoluble, même pour un polytechnicien qui confessait que la mathématiques confiées aux Enarques relevaient de l’hermétisme le plus parfait. L’équation en question contenait une définition circulaire qui la rendait totalement impraticable.

La menace de suppression totale aussi. Qui  n’aurait pas manqué, nous disait-on, de faire baisser le coût d’intervention des notaires. On allait même jusqu’à prétendre à une baisse de 20 % ! Sans s’inquiéter de ce que ce pourcentage était bien souvent largement supérieur au taux de marge des offices. Qu’à cela ne tienne, la concurrence est, de quelque côté que vous retourniez la question, la solution aux problèmes de pouvoir d’achat des français. Qu’on se le dise. Même au mépris des enseignements les plus clairs des opérations de libéralisation de tarif imposés à d’autres professionnels réglementés, au premier rang desquels les commissaires-priseurs pour lesquels il n’aura échappé à personne que l’effet aura été exactement inverse.

Toujours est-il que la réforme opérée par la loi dite « de croissance » sur notre tarif recelait de nombreuses imperfections dues aussi bien à l’ignorance de ses promoteurs sur ces questions qu’à la précipitation de son élaboration.

Ce sont à ces imperfections que la récente réforme visait à remédier.

La question du « coût pertinent du service rendu »‘ tout d’abord. Formule empruntée à … et dont on sait combien elle paraît particulièrement inadaptée à notre fonction. Comment calculer et comparer le coût pertinent du service rendu dans le cadre d’une succession à héritier ab intestat unique de celui rendu, à capitaux exprimés identiques, dans le cadre d’une succession comptant douze ou quinze, voire plus, héritiers ? Par exemple.

L’avantage, et le fondement, de notre tarif était sa mutualisation. Mutualisation qui permettait de ne pas sanctionner financièrement des situations de fait ou de fortune très disparates. L’application stricte de ce principe de « coût pertinent » pouvait fort bien aboutir à faire payer plus un héritier qu’un autre au motif qu’il devrait partager l’actif de la succession avec de nombreux cohéritiers. Quoi de plus absurde ? Même chose pour l’acquisition d’un immeuble où deux acquéreurs auraient été amenés à payer des frais de montants différents  au hasard du nombre de vendeurs, de la mesure de protection de l’un des vendeurs etc … Et comment chiffrer ce coût pertinent face à des situations forcément très diverses que le tarif ne pouvait pas recenser intégralement ? Bref en matière de réforme d’un tarif mutualisé, comment faire simple alors qu’on pouvait faire compliqué ?

C’est d’ailleurs la simplicité qu’a retenue le législateur avec cette fameuse « baisse homothétique ». Car la réforme ne pouvait déboucher que sur une baisse bien sûr.

Cette notion n’est pas complétement abandonnée par la réforme mais complétée par une autre notion : « l’objectif de taux de résultat moyen » dont « le montant est estimé globalement pour chaque profession ».

Ce qui revient à renoncer à une tarification acte par acte en fonction de la rentabilité de chaque prestation.

C’est d’un premier abord un progrès. La mise en musique du coût pertinent du service rendu obligeait les offices à déterminer aux termes d’opération de calcul et d’analyse sinon complexes, au moins chronophages, le coût de la prestation en fonction des paramètres habituels de temps passé, de complexité de l’acte etc … Pour autant, les nouveaux textes ne semblent pas abandonner les anciens critères de cout pertinent et de rémunération raisonnable.

Mais c’est là une politique des petits pas. La coexistence des anciens critères avec la nouvelle donne semble quelque peu incohérente. Il faudra sans doute retenir que le nouveau critère de marge moyenne prévaudra sur les anciens critères, on l’a dit, totalement impraticables. Critères anciens dont on se demande alors pourquoi ils n’ont pas été purement et simplement abandonnés. Il est vrai que leur relative jeunesse faisait résonner leur abandonner comme un échec difficile à admettre pour leurs inventeurs.

La solution trouvée,  de leur coexistence avec le système nouveau, laisse planer un doute. Si la comptabilité analytique imposée par la tarification acte par acte semble abandonnée, reste celle de la « rémunération raisonnable ». Comment concilier « le taux de résultat moyen » avec cette « rémunération raisonnable ». Le caractère global du premier, le taux moyen,  s’accorde-t-il avec le calcul individuel de la rémunération raisonnable de chaque acte ?

Il reste que le nouveau critère établi par la loi de réforme pour la justice revient à une globalisation qui paraît plus conforme aux spécificités des professions qu’elle concerne. Il s’agit de se reporter à l’activité complète de chaque profession. Pour nous notaires, ceci est plus acceptable. Le « coût pertinent » n’était rien d’autre qu’un coup porté à l’unité de la profession par l’emprunt de cette notion aux activités purement commerciales et concurrentielles.

Mais on aurait tort de penser que ceci garantit à la profession la sécurité et la stabilité financières indispensables à l’exercice indépendant de notre mission. Comment sera calculé le taux de résultat moyen ? Et quelles seront les conséquences de ses variations à la hausse ou à la baisse ?

Celà veut-il dire que, si le taux de résultat augmente,  le tarif baissera ? Dans la logique de la modération de la rémunération des notaires voulue par les promoteurs de la loi croissance. Et si le taux moyen baisse, le tarif sera-t-il systématiquement augmenté ? Ces questions ne sont pas neutres. La politique d’investissement de la profession risque de servir de variable d’ajustement : on investit, dans un premier temps, cela coûte cher. La marge des offices baissera. Le tarif augmentera-t-il ? Jusqu’à ce que l’investissement produise ses effets, entraînant par la même une hausse de la rentabilité. Laquelle, si l’on comprend bien, devrait aboutir à …. une baisse du tarif. De là à penser que la profession aura intérêt à faire baisser ses marges pour obtenir des augmentations de tarif, il n’y a pas loin.

Et que dire de l’incidence de l’arrivée des nouveaux confrères ? Pour ceux qui démarreront bien, les premiers exercices devraient dégager des marges confortables en raison de charge peu élevées au démarrage de leur activité. Marges confortables qui se télescoperont avec les marges plus réduites des confrères déjà installés dont l’activité sera réduite du fait de la concurrence des nouveaux entrants. Le poids relatifs des nouveaux entrants ne justifiera sans doute pas que leurs marges importantes justifient une baisse du tarif. Au mieux neutraliseront-elles la baisse des marges des anciens. Mais plus vraisemblablement, au moins dans un premier temps, cette dernière baisse justifiera-t-elle une hausse du tarif pour assurer la pérennité des offices existants, ce qui est salutaire, mais qui bénéficiera aussi aux créateurs dont la marge se trouvera de facto augmentée … bref … une nouvelle usine à gaz.

Régis de LAFFOREST, président honoraire du SNN.

Article paru dans le numéro 3 de Ventôse 2019.