La construction de la représentativité patronale dans le Notariat.

Avec la loi du 20 août 2008, les pouvoirs publics ont entendu développer et rationaliser le dialogue social, en s’intéressant à la question de la représentativité. Il s’est d’abord agi de réglementer les pratiques du ministère du travail en matière de représentativité des syndicats de salariés. C’est un euphémisme de dire qu’antérieurement, pour ce qui les concerne, les pratiques étaient plutôt « flottantes »[i].

La question de la représentativité patronale ou d’employeurs a été ensuite mise à l’ordre du jour. A ce titre, le Syndicat National des Notaires a déposé un lourd dossier de demande, qui a été instruit durant quelques mois, pour aboutir à un arrêté du 13 juin 2012 reconnaissant sa représentativité.

Le système qui avait prévalu avant la loi de 2008 était celui de la reconnaissance mutuelle entre organisations d’employeurs. Il n’existe plus désormais que la représentativité prouvée, et non plus une représentativité présumée. Cependant, l’article L2122-1 du Code du travail ne pouvait être appliqué directement aux organisations patronales : il a donc fallu mener un processus de constructions de la représentativité patronale.

Au titre de l’article L2121-1 du même code, est représentative l’organisation patronale qui réunit au moins 8 % des entreprises qui adhèrent à des organisations professionnelles d’employeurs ou dont les entreprises adhérentes emploient au moins 8 % des salariés employés par l’ensemble des entreprises membres d’organisations patronales.

Les principes directeurs restant les mêmes qu’avant 2008, à savoir : le respect des valeurs républicaines, l’indépendance (organique, intellectuelle, financière…), la transparence, l’ancienneté, l’influence et une implantation territoriale équilibrée. Ces critères sont cumulatifs[ii].

S’agissant de la reconnaissance de la représentativité, l’Administration dégage une doctrine pragmatique : il s’agit avant tout de faire fonctionner avec la plus grande efficacité le système conventionnel, en évitant le morcellement de la négociation et en améliorant le dialogue social dans la profession.

L’objectif de la réforme était de parvenir à deux résultats : la concentration du nombre de d’interlocuteurs puis la réduction drastique du nombre des branches professionnelles[iii].

La finalité de la réforme était assurée par la règle des 8 % : elle permettait ainsi de faire immédiatement le tri, sur un critère parfaitement objectif, et d’éliminer les organisations syndicales minoritaires ou ultra-minoritaires.

Une question se pose cependant pour le notariat : le CSN n’étant pas une organisation syndicale et du fait qu’il n’existe qu’un seul syndicat patronal (c’est-à-dire dans notre cas d’employeurs ou encore de notaires titulaires) remplissant les critères ci-dessus énoncés, à savoir le SNN, la règle des 8 % est-elle soutenable et applicable ? Il s’agit en effet de faciliter le dialogue social, de le simplifier, et non de l’empêcher. On peut donc en déduire que cette règle deviendra supplétive dans notre cas.

On peut aussi s’interroger sur la place particulière occupée dans la profession et dans les organisations syndicales par les notaires honoraires : ils conservent de nombreuses activités au service du Notariat, sont soumis aux mêmes obligations que leurs confrères actifs et cotisent dans certaines instances. Cette situation est tout à fait particulière dans la profession et on peut s’interroger sur une meilleure prise en compte des notaires honoraires dans le champ professionnel et syndical.

Passées ces considérations propres aux notaires, les conséquences matérielles sont les suivantes : permettre aux organisations professionnelles de signer des accords collectifs, engager l’ensemble des employeurs, légitimer les organisations patronales, siéger dans certaines instances décisionnaires de la branche, participer au paritarisme nationale et interprofessionnel, être reconnu par l’Administration…

Très concrètement, il s’agit d’assurer les conditions de validité des conventions et accords collectifs de travail, en les transformant en contrats réglementaires, dont l’objet est de réglementer d’une façon générale et uniforme les contenus des contrats individuels de travail. « Être reconnu représentatif par l’Administration et/ou le juge confère à l’organisation patronale une légitimité particulière. La représentativité est d’abord une reconnaissance juridique qui confère certaines prérogatives comme, par exemple, signer des conventions et accords susceptibles d’être étendus. »[iv]

Il faut revenir sur le mécanisme fondamental qu’est l’extension en droit du travail: il consiste à donner un effet erga omnes à un contrat organisant les relations individuelles de travail. Ce mécanisme de l’extension a été créé par la loi de 1936, pour en faire un instrument de paix sociale.

Cette législation fait de la convention collective une réglementation du travail à base contractuelle, ce qu’on appelle la théorie du dualisme juridique : « la convention collective est un acte complexe où prennent place à la fois des obligations contractuelles et des règles de droit. »[v] L’association des partenaires sociaux conditionne sa validité.

A la lecture de ces éléments, il est donc évident que la représentativité peut être un enjeu de pouvoir entre des organisations professionnelles patronales.

Concernant le SNN, un nouvel arrêté, daté du 29 novembre 2017, reconduit la représentativité, tout en habilitant le CSN à négocier et conclure des conventions et accords collectifs de travail. Cette disposition pourrait, à première vue, ne poser aucune difficulté juridique, puisque la loi du 22 décembre 2010 avait aboli le privilège de négociation collective du CSN, le partageant désormais avec les organisations patronales représentatives.

Il était reconnu de longue date que le CSN pouvait agir en qualité de groupement d’employeurs : en particulier un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 6 novembre 1959[vi] avait considéré qu’il aurait été un ajout à la loi de dénier la possibilité pour le CSN de mener les négociations collectives de travail. Pourtant, deux arguments principaux s’opposent à cette vision des choses :

  • d’abord, de manière générale, un organisme regroupant l’ensemble de la profession, de manière obligatoire, peut-il efficacement participer aux accords collectifs ? C’est toute la question du caractère ordinal du CSN : le législateur s’est gardé de donner une définition des ordres professionnels. Cette question a été laissée au juge administratif, par deux arrêts du Conseil d’Etat MONTPEURT et BOUGUEN, respectivement des 31 juillet 1942 et 2 avril 1943. Dans cette dernière décision, la Haute juridiction affirme que le législateur a entendu faire de l’organisation et du contrôle des professions un service public, en particulier par la réglementation et la discipline. Si la question du rattachement à la notion de service public servait ici à donner compétence contentieuse aux juridictions administratives pour juger d’organismes de droit privé, la question ne se pose pas pour le CSN, qui est un établissement public. Cependant, sa mission, ses pouvoirs réglementaires et disciplinaires et son caractère d’adhésion obligatoire le rattachent manifestement aux ordres professionnels. Si la loi lui confère une habilitation à négocier les conventions collectives, accords de branche et extensions, pour autant, on peut s’interroger sur la légitimité, au regard du droit du travail, de cette habilitation.
  • ensuite, de manière plus spécifique, cette jurisprudence de 1959 nous paraît obsolète : est depuis intervenue en effet la création des notaires salariés, qui tout en étant notaire de plein droit restent salariés d’un patron ; leur qualité de notaire les conduit à être rattachés au CSN, à y adhérer et à cotiser. Le CSN regroupe à la fois des employeurs et des salariés, mais il ne peut plus du fait de cette situation être à la fois dans le camp patronal et dans celui des salariés, en toute logique. Par ailleurs, on peut remarquer la situation de porte-à-faux des notaires salariés qui ne peuvent pas se syndiquer en tant que notaires (puisqu’ils n’ont pas encore de syndicat dédié…) et ne voient pas leurs intérêts défendus dans les négociations collectives.

Le contentieux de la reconnaissance de la représentativité est peu fourni, on le comprend encore plus s’agissant des patrons/employeurs, puisque le consensus était la règle. Pourtant, avec la loi de 2008, on commence à voir des décisions concernant ce point, en analogie avec les syndicats de salariés.

Un contournement de l’objectif de la loi, concernant ces derniers, était la création de ce qu’on appelait les « syndicats maison » : l’objectif était pour le patron de pousser à la création d’un syndicat parmi ses employés, de le contrôler et le financer en sous-main. Bien entendu, les partenaires sociaux ont toujours été attentifs à empêcher ce type de situation de se produire, situation qui aurait truqué le jeu de négociation collective.

Il faudra attendre une décision importante du Conseil d’Etat du 2 mars 2011[vii] pour trancher cette question s’agissant des syndicats patronaux : plusieurs syndicats de la filière équestre avaient contestés l’arrêté fixant la liste des organisations représentatives. Si le Conseil fait application très classiquement de la loi, en revanche, il souligne et précise le critère d’indépendance de l’un des syndicats représentatifs. La manœuvre avait consisté, pour la fédération, c’est-à-dire l’Ordre, d’assortir la cotisation obligatoire d’une part donnant droit à une adhésion au syndicat en cause. Ce syndicat remplissait, bien entendu, les critères de nombre d’adhérents et de diffusion sur le territoire. La Haute juridiction reconnaissait ainsi l’implication de l’ordre, disposant d’un pouvoir disciplinaire, dans le financement du syndicat maison, et finalement l’impossibilité pour lui d’être représentatif !

[i] Pour un historique exhaustif de cette question, voir : Jean-Pierre LE CROM, « Le rôle de l’administration du Travail dans la reconnaissance de la représentativité des organisations professionnelles. Interprétation et usages de l’ex-article L. 133-2 du Code du travail (1946-2006) », Revue Travail et Emploi, 131, 2012, pp. 119 à 136.

[ii] L’article L2121-1 du Code du travail, modifié par la loi n°2008-789 du 20 août 2008, précise en son article 1er : « La représentativité des organisations syndicales est déterminée d’après les critères cumulatifs suivants : 1° Le respect des valeurs républicaines ; 2° L’indépendance ; 3° La transparence financière ; 4° Une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation. Cette ancienneté s’apprécie à compter de la date de dépôt légal des statuts ; 5° L’audience établie selon les niveaux de négociation conformément aux articles L. 2122-1, L. 2122-5, L. 2122-6 et L. 2122-9 ; 6° L’influence, prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience ; 7° Les effectifs d’adhérents et les cotisations. »

[iii] Sur ce dernier point, on renverra à l’article de Michel GOLAIN sur la fusion des branches et à la décision du Conseil constitutionnel du 29 novembre 2019, n°2019-816 QPC, tous deux dans ce même numéro de Ventôse.

[iv] Nicole MAGGI-GERMAIN, « Fonctions et usages de la représentativité patronale », in Revue Travail et Emploi, n° 131, 2012, pp. 23 à 44, p. 24.

[v] Nicole MAGGI-GERMAIN, op. cit., p. 26, note 14, citant R. DURAND à la Revue trimestrielle de Droit civil, 1939.

[vi] Cité par Patrick MORVAN, « Le Syndicat national des notaires : un cas d’école de la représentativité patronale », in Revue Droit social, pp. 39 à 42, p. 40 note 9.

[vii] Conseil d’État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 2 mars 2011, n° 313189, SYNDICAT NATIONAL DES ENTREPRISES DU SECTEUR PRIVÉ MARCHAND DE LA FILIÈRE ÉQUESTRE DES LOISIRS ET DU TOURISME.

 

 

Guillaume BÉTEMPS, juriste au SNN.

Publié dans le numéro 6 de Ventôse 2019.

 

 

 

REPRESENTATIVITE, VOUS AVEZ DIT REPRESENTATIVITE ?

 

« Le capitalisme, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme ; et le syndicalisme, c’est l’inverse ! »

Coluche

 

L’autre jour un confrère (non adhérent au SNN) m’a apostrophé crûment :

-Le CSN représente 15 000 notaires et 50 000 salariés, alors que ton syndicat a moins de 1000 adhérents ; comment peux-tu dire qu’il est représentatif et que le CSN ne l’est pas ?

Je lui ai alors rétorqué :

–as-tu vraiment adressé un bulletin d’adhésion au CSN ? As-tu l’impression que ton affiliation obligatoire à l’hôtel des impôts dont tu dépends donne à son directeur le droit de te représenter et de parler en ton nom ?

Puis j’ai énoncé les lois sociales qui accordent le fameux certificat de représentativité aux syndicats, car la démocratie est fondée sur les expressions de volonté ; je suis passé à la règle des 8 % : 8 % de syndiqués chez les salariés 8 % de seuil d’entreprise chez les employeurs, voilà la pauvreté syndicale française !

Après avoir repris mon souffle, je lui ai avoué que, moi aussi, j’étais affilié au CSN  et même à la CPRN (15 000 affiliés cotisants et retraités) et que j’en étais content, tout en restant actif au sein de mon syndicat bien aimé.

Nous avons conclu ensemble que tout ce beau monde reflétait la complexité et la diversité de notre profession et que l’on pouvait en être fier.

 

Régis HUBER, président honoraire du SNN.

Publié dans le numéro 3 de Ventôse 2019.