NOTAIRE : OFFICIER PUBLIC ?

L’OPINION D’YVES GAUDEMET

C’est lorsqu’elle est – injustement – soumise à l’épreuve qu’une profession sait se révéler et s’affirmer au-delà des contingences. Et c’est avec courage et conviction la mission que s’est assigné le Syndicat National des Notaires – Notaires de France ; tout spécialement pour en faire l’objet de son 55e congrès et transformer en affirmation l’interrogation qui accompagne l’énoncé du thème choisi : « Notaire : autorité publique ? ».

On ne peut ignorer en effet que la profession notariale, pourtant riche d’une solide histoire et aujourd’hui largement répandue au-delà de nos frontières, ait été quelque peu éprouvée ces dernières années durant, au point de s’interroger sur elle-même. Dans un vent de modernisme affiché porté par le souffle de la concurrence à tout-va, la profession notariale a été mise sur le marché indifférencié des prestations juridiques (alors qu’aussi bien la loi Le Chapelier que deux siècles plus tard le rapport Attali mettaient à part le Notariat), la création des études inscrite dans le code de commerce et soumise à une géographie dynamique et évolutive arbitrée par l’Autorité de la concurrence, les actes tarifés selon un principe du coût…

C’est, dans son esprit dans sa lettre, la loi du 22 janvier 2022 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (qui ne souscrirait à cette trilogie… laquelle, malheureusement, sonne davantage comme un programme politique, voire une incantation…) que les notaires ont combattu et qu’ils s’attachent aujourd’hui à gérer au mieux des intérêts bien compris, non pas tant de la profession mais de la mission qui est la leur, celle d’un service public multiforme entre les mains d’officiers publics attributaires de par la loi de prérogatives de puissance publique, au premier rang desquelles l’authenticité conférée aux actes qu’ils reçoivent.

Mais l’on comprend que le doute se soit installé dans leur esprit. D’autant que, à peu près au même moment, le droit européen, tant celui de la Convention européenne des droits de l’homme que celui de l’Union européenne sont venus considérer sous bénéfice d’inventaire, voire avec suspicion le monopole de l’acte authentique reconnu aux notaires ; or mettre en cause l’authenticité, c’est évidemment ébranler jusqu’à ses fondements le Notariat lui-même, corps d’officiers publics attributaires de cette prérogative de puissance publique ; c’est en effet l’authenticité qui, dès avant la loi de Ventôse et continûment dans notre histoire, identifie les notaires, les singularise parmi les professions juridiques avec pour corollaire une organisation collective et des garanties professionnelles ainsi qu’un office et des responsabilités réglés par la loi ; en sorte qu’il y a là un vecteur incontesté de sécurité des transactions.

Alors, il est bon que le Syndicat National des Notaires, riche des jeunes énergies et compétences qu’il sait mobiliser, s’attache à dissiper ces doutes quasi existentiels et vienne rappeler que, au-delà des aléas et des mauvais coups du moment, le Notariat n’a pas à douter de lui-même : attributaire de par la loi de l’authenticité, prérogative éminente de puissance publique, rendant à différents titres d’importants services à l’État lui-même, gérant au mieux et pour le compte de celui-ci des activités d’intérêt général, associé à la perception de l’impôt, le Notariat doit rester fidèle à lui-même, aux formes qui sont les siennes, aux conditions de son intervention, à sa fonction éminente d’officier public dispensateur de sécurité juridique.

Laissons à Vauvenargues, tant apprécié de Voltaire, le dernier mot qui sonne un peu comme un reproche et que le 55e congrès du SNN pourrait faire sien : « ceux qui gouvernent les hommes ont un grand avantage sur ceux qui les instruisent ; car ils ne sont pas obligés de rendre compte ni de tout ni à tous ».

Yves GAUDEMET, membre de l’Institut, Professeur émérite de droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas.